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« 1848. Le printemps des peuples », de Christopher Clark : dans le kaléidoscope des révolutions de 1848

« 1848. Le printemps des peuples. Se battre pour un monde nouveau » (Revolutionary Spring. Fighting for a New World. 1848-1849), de Christopher Clark, traduit de l’anglais (Australie) par Marie-Anne de Béru et Gabriel Boniecki, Flammarion, « Au fil de l’histoire », 816 p., 35 €, numérique 24 €.
Raconter l’immense vague révolutionnaire de 1848 relève du tour de force. Tant d’éruptions politiques, partout en Europe et jusque dans le monde colonial, tenant à la fois de l’insurrection démocratique, de la révolte nationale et du défi socialiste à l’ordre ancien, brièvement conjoints avant de connaître défaite sur défaite, forment un kaléidoscope dont la restitution paraît redoutable. C’est sans doute pour cela qu’aucune synthèse d’ampleur n’était disponible depuis des décennies et que l’historien australien Christopher Clark, coutumier des entreprises éditoriales ambitieuses – ses Somnambules (Flammarion) revisitant les causes de la Grande Guerre ont ­remporté un succès mondial en 2013 –, s’est attelé à la tâche.
Il a réalisé, pour écrire 1848. Le printemps des peuples, un travail considérable, même s’il n’est pas toujours convaincant. Il faut lui savoir gré d’avoir embrassé la totalité de l’événement, dans sa plus grande étendue géographique. Si les passages obligés et les acteurs déjà familiers, de Marx à Tocqueville, sont évidemment abordés, il entraîne ses lecteurs au cœur d’épisodes méconnus, auprès des paysans valaques plaidant devant les élites roumaines pour un partage des terres, ou du bref et sanglant soulèvement madrilène de mars 1848. Comme le suggère cette amplitude spatiale, le livre épouse, d’une certaine ­façon, la forme de son sujet. Il en a la couleur, la vivacité, le goût du discours enflammé et de la ­citation grandiose. Il en reflète le caractère imprévisible, passant d’un foyer révolutionnaire à un autre, par une multitude de portraits et de récits juxtaposés.
Mais c’est aussi ce qui rend sa lecture parfois déroutante, faute, comme certains révolutionnaires eux-mêmes, d’une ligne directrice claire. L’équilibre du propos est incertain : plus de huit pages sont ainsi consacrées à la protoféministe Claire Démar (pourtant morte en 1833), pour quelques ­lignes seulement à l’un des faits les plus importants de la période, l’élection du Parlement de Francfort en avril et mai 1848, première expérience de suffrage de masse en Allemagne. Concepts et vocabulaire apparaissent flottants, dans l’approche du nationalisme en particulier, dont l’effet sur les ­révolutions est décrit comme « semblable à celui de l’héroïne sur le corps et l’esprit d’un drogué ». Il qualifie même étrangement les guerres natio­nales européennes de « conflits interethniques ».
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